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En 1993, Hérodote publiait le premier numéro consacré à l’Inde, alors centré sur la question nationale, numéro déjà construit sous la houlette de Jean-Luc Racine comme l’est celui-ci. Le contexte international poussait à ce choix car, avec l’éclatement de l’URSS et de la Yougoslavie, la question du devenir des États plurinationaux était à l’ordre du jour. Or l’Inde, étant un État multiculturel, avec des dizaines de langues et diverses minorités religieuses, pouvait-elle connaître une évolution similaire ? La réponse apportée dans ce numéro était clairement non, l’unité territoriale de l’Inde n’était pas en jeu, en revanche la montée du nationalisme hindou nécessitait de s’interroger sur le devenir du principe de la laïcité, sur lequel reposait l’organisation de la vie nationale, en cas de victoire du parti politique BJP (Bharatiya Janata Party).

Vingt-six ans plus tard l’unité territoriale de l’Inde est bien confirmée, et l’arri­­vée au pouvoir du BJP en 2014 avec Narendra Modi au poste de Premier ministre n’a pas fait, comme certains le redoutaient, du fondamentalisme religieux le centre de l’organisation sociopolitique du pays, même si la victoire du BJP a poussé des groupuscules fondamentalistes hindous à des actions violentes contre des minorités religieuses (musulmanes et chrétiennes). Comme nombre d’analystes le prévoyaient la gestion d’un État aussi divers que l’Inde où certaines minorités comptent plus de 100 millions d’individus (172 millions de musulmans) oblige au réalisme politique et au pragmatisme. Si l’Inde n’est pas une démocratie sans failles ni faiblesses, c’est néanmoins une démocratie avec de vraies élections et des débats politiques contradictoire. À la date du bouclage de ce numéro (mars 2019) nous ne connaissons bien évidemment pas le résultat des élections qui auront lieu en avril-mai, toutefois les dernières élections législatives partielles ont été défavorables au BJP (perte de cinq États dont des États importants comme le Rajasthan et le Madhya Pradesh). Nombre de paysans (70 % de la population indienne est rurale) connaissent une situation économique difficile et, déçus, pourraient ne pas voter pour le BJP aux prochaines élections législatives, la stratégie économique du gouvernement Modi (cf. l’article de Loraine Kennedy) n’ayant pas créé assez d’emplois. Ceci ne signifie pas nécessairement que le BJP perde la majorité aux futures législatives mais les observateurs ne s’attendent pas à voir renouveler la victoire éclatante de 2014 qui avait surpris par son ampleur. Les récents sondages placent le plus souvent le BJP en tête, mais sans nécessairement disposer de la majorité. Si ces prévisions étaient confirmées, tout dépendrait alors du jeu incertain des coalitions, pro ou anti-BJP (cf. l’article de Christophe Jaffrelot sur l’évolution des rapports de force politiques). La pluralité des forces politiques confirme ainsi que l’Inde reste une démocratie, même si les dérives qu’a tolérées le parti au pouvoir ont fait planer l’ombre de l’illibéralisme, comme le dénoncent certains opposants.

En 1993, l’analyse de la situation géopolitique interne occupait l’essentiel du numéro, en revanche dans celui-ci c’est à l’Inde puissance émergente que les auteurs se sont surtout intéressés. Si l’Inde est incontestablement une puissance émergente, la Chine est à classer désormais dans les grandes puissances étant la deuxième puissance mondiale derrière les États-Unis, sur le plan des forces militaires (avec un budget de 168 milliards de dollars contre 643 milliards pour les États-Unis) et du PIB (PIB chinois 13 119 milliards de dollars, plus de 20 200 milliards pour les États-Unis). Xi Jinping ne laisse d’ailleurs aucun doute sur sa volonté de faire de la Chine dans un avenir pas si lointain la première des puissances mondiales, ce qui est d’ailleurs une source d’inquiétude tant pour les États-Unis que pour le Japon et l’Union européenne. À l’aune de la puissance chinoise, le chemin est donc encore long pour l’Inde, qui est au cinquième rang mondial pour son budget militaire (57 milliards de dollars) en forte augmentation avec pour objectif de compléter et moderniser rapidement son armement (cf. l’article de Guillem Monsonis), quant à son PIB (2 600 milliards) il est voisin de celui de la France et du Royaume-Uni. Il n’y a pour le moment que sur le plan démographique que l’Inde (1,35 milliard d’habitants) est comparable à la Chine (1,4 milliard), conséquence de la politique chinoise de l’enfant unique.

Mais cette nette différence de puissance entre les deux grands États d’Asie n’atténue nullement leurs rivalités, le gouvernement chinois, sûr de la supériorité de sa puissance, cherchant à étendre sa zone d’influence en Asie du Sud et dans l’océan Indien au détriment de l’Inde qui est tout autant déterminée à défendre ce qu’elle considère comme sa zone d’influence légitime (cf. l’article de Marianne Péron-Doise). Les facteurs de tensions ne manquent pas entre ces deux États : conflits frontaliers, rivalités pour le contrôle de l’océan Indien, alliance de la Chine avec le Pakistan ; toutefois, malgré ces tensions, les deux États ont jusqu’à maintenant toujours réussi à éviter le pire (cf. l’article d’Isabelle Saint-Mézard). Rivalité qui se retrouve aussi en Afrique où la présence de l’Inde est beaucoup plus ancienne que celle de la Chine mais dont les capacités d’investissements sont incomparablement moins élevées (cf. l’article de Pooja Jain-Grégoire). Un autre moyen d’affirmer son statut de puissance émergente est de s’engager dans de nombreuses coopérations multilatérales, et ce à tous les niveaux : organisations internationales et régionales comme les Brics – mais là encore elle doit affronter la stratégie chinoise identique à la sienne – ou organisations plus spécifiques comme le forum Inde Brésil Afrique du Sud (cf. l’article de Folashadé Soulé).

Si la puissance chinoise oblige l’Inde à la prudence dans ses relations avec la Chine, qu’en est-il envers son voisin immédiat, le Pakistan avec lequel les tensions, et même les conflits ouverts représentent une menace sérieuse sur la stabilité de la région ? (Cf. les articles de Gilles Boquérat et Nicolas Blarel.) Il s’agit de deux puissances nucléaires en conflit ouvert au Cachemire depuis l’indépendance, ce à quoi s’ajoutent sur le territoire indien les attaques terroristes de groupes musulmans fondamentalistes installés au Pakistan sous protection pakistanaise. Récemment au cours du mois de mars 2019, on a assisté à une escalade entre les deux États, l’Inde ayant choisi la réponse militaire – des avions de combat indiens ont frappé une cible au-delà de la région disputée du Cachemire – à une attaque suicide au Cachemire indien, revendiquée par le groupe islamiste pakistanais Jaish-e-Mohammad (JeM), qui a tué quarante paramilitaires indiens. Le Pakistan pour désamorcer l’escalade a remis à l’Inde son pilote capturé au Cachemire. Qu’en sera-t-il une autre fois ?

Narendra Modi gagne un second mandat

Alors que les articles regroupés dans ce numéro ont été rédigés avant ou pendant la campagne électorale des dix-septièmes élections législatives indiennes, conduites du 11 avril au 19 mai 2019, les résultats officiels ont été connus alors qu’étaient corrigées les dernières épreuves. La victoire écrasante du Bharatiya Janata Party (BJP), reconduit au pouvoir avec une majorité absolue supérieure à celle qu’il avait obtenue en 2014 (303 sièges sur 542 contre 299 en 2014), est un triomphe personnel pour Narendra Modi, d’autant que le principal opposant, le parti du Congrès, progresse à peine (52 sièges contre 44). Cette continuité politique donne un poids supplémentaire aux analyses ici proposées en matière de politique étrangère, dans un contexte où les ambitions indiennes vont s’affirmer avec une rhétorique accrue, comme le suggère le discours de victoire du Premier ministre. Ce succès conforte de façon significative la position désormais hégémonique du BJP, la question étant posée de savoir si, sur le plan intérieur, le parti et plus largement la famille nationaliste hindoue et ses militants, accentueront la ruspture avec les idéaux portés jadis par Jawaharlal Nehru. Le discours de victoire est là aussi éloquent, puisque l’actuel et futur Premier ministre y a dénoncé « le masque du sécularisme », cette manière de laïcité à l’indienne. La voix du peuple s’étant exprimée, l’Inde confirme l’emprise croissante des nationalismes et des forces identitaires dans le monde d’aujourd’hui.


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