Depuis les années 1990, une part non négligeable du temps universitaire est consacrée à remplir des dossiers d’évaluation de l’activité des enseignants-chercheurs, à répondre à des appels d’offres pour trouver des financements, etc. Avec un postulat : il vaut mieux être dans de grosses unités d’enseignement et surtout de recherche pour espérer intégrer le Top 100 des universités du classement de Shanghai. L’objet de ce numéro est de comprendre le bien-fondé de cette mise en concurrence des universités. Doit-on y voir les effets de la mondialisation sur le monde universitaire ? Dans cette course, les universités françaises ne sont pas les mieux placées comparées aux universités anglo-saxonnes qui ont imposé leur modèle et leur langue. Dans cette compétition universitaire mondialisée, l’arrivée de la Chine bouscule le paysage avec ses millions d’étudiants, sa volonté de s’implanter dans les universités occidentales et d’attirer des étudiants du monde entier.

Abstract :

Since the 1990s, an important part of academic workload is devoted to fill out evaluation reports on the activity of researchers and professors, or to answer call for projects to riase funds, etc. All of this based on one assumption : it is better to belong to universities with big teaching and research departments in order to be listed in the top 100 Shangai ranking of world universities. The purpose of this issue is to assess the legitimacy of this competition between universities. Should we see it as an effect of globalization on academia ? French universities are not very well ranked compared to anglo-saxon universities, which imposed their model and language. In this globalized academic competition, the entrance of China shakes the panorama through its millions of students, its will to establish itself in western universities and to attract students from the entire world in Chinese universities.

Article Complet

Les universitaires confirmés vous le diront, le métier a bien changé depuis les années 1990. La recherche et l’enseignement sont loin de n’être que les deux seuls volets du métier. Désormais, une part non négligeable du temps universitaire est consacrée à remplir des dossiers d’évaluation de l’activité des enseignantschercheurs, à répondre à des appels d’offres pour trouver des financements qui, en cas de succès, valorisent l’équipe de recherche, surtout s’il s’agit de financements européens. Quel que soit l’intérêt des résultats de la recherche par ailleurs. Ajoutons le suivi des étudiants diplômés pendant quelques années, qu’il s’agisse d’étudiants de master ou de doctorants, la mise en ligne des travaux de recherche à peine publiés – voire avant publication – au point de décourager les éditeurs de faire encore des éditions papier qui se vendent de toute façon difficilement, l’organisation de colloques si possible internationaux afin de cocher les cases qui montrent non seulement votre activité mais sa qualité scientifique et plus encore son rayonnement international. Avec un postulat : pour accroître ses chances de cocher toutes les cases, mieux vaut être dans de grosses unités d’enseignement et surtout de recherche. Trop petit, on ne peut être repéré sur la « toile » et encore moins espérer intégrer le Top 100 des universités du classement de Shanghai. C’est pourquoi il faut fusionner, du moins sur le papier, avec d’autres universités, sans pour autant que cette fusion ne produise de nouvelles synergies, tant dans les formations enseignées que dans la recherche, et encore moins au niveau des économies annoncées grâce à la mutualisation de quelques services. La fusion permet d’atteindre un nombre d’étudiants et de chercheurs qui vous classe au moins parmi les plus « gros » faute de l’être parmi les meilleurs. Quelle est donc la finalité de tout ceci ?

C’est à cette question que s’efforce de répondre ce numéro d’Hérodote. Comprendre le bien-fondé de cette course à l’évaluation permanente, à la publication, aux financements, à la recherche de partenaires universitaires étrangers, à l’impérative nécessité de répondre aux standards internationaux de ce qui est considéré comme une université de qualité : cours en anglais, attractivité des étudiants étrangers, surtout lorsque les frais d’inscription sont élevés, ce qui serait une preuve de la qualité des enseignements et de la recherche, mais qui témoigne avant tout de la capacité des universités à capter les étudiants les plus riches – qui ne sont pas nécessairement les plus brillants. Doit-on y voir les effets de la mondialisation sur le monde universitaire ?

Disons-le d’emblée, dans ce nouveau monde, les universitaires français, principalement en sciences humaines et sociales, ne sont pas les mieux adaptés, comparés à ceux des pays anglophones. Ces derniers ont, en effet, l’incontestable atout de travailler dans leur langue. En outre, à la différence de leurs collègues anglophones, les universitaires français, jusqu’aux années 1990, n’ont pas eu à se préoccuper des financements de leur recherche, l’État y pourvoyant. Ceci n’était pas sans effets négatifs : les crédits, surtout en sciences humaines et sociales, étant faibles, ce qui d’ailleurs donnait à quelques universitaires un prétexte pour ne pas s’investir dans la recherche. Néanmoins, on a longtemps fait des recherches, et de bonnes recherches, avec peu de moyens. Il est vrai, autre spécificité française, que l’État finance également des organismes de recherche en sciences humaines et sociales distincts de l’université, tels que le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) et l’IRD (Institut de recherche pour le développement ; ancien Orstom). Leurs équipes étaient mieux dotées, leurs chercheurs pouvant se consacrer à leurs travaux à plein temps, sans avoir à assurer des cours comme les universitaires. Le ministère considérait ainsi que les besoins financiers des premiers étaient supérieurs à ceux des seconds, proportionnellement aux heures qu’ils pouvaient consacrer à ces travaux de recherche. En fait, on considérait que les « vrais » chercheurs, pour ne pas dire les meilleurs, étaient au CNRS. Par la suite, la création des Unités mixtes de recherche (UMR), qui associent une équipe du CNRS à un ou plusieurs laboratoires de recherche ou universités, a quelque peu corrigé cette représentation. Il n’en reste pas moins qu’appartenir à une UMR est toujours mieux que d’être une simple équipe universitaire d’accueil de doctorants. Cette organisation qui différencie les organismes de recherche, d’une part, et les universités, d’autre part, est une caractéristique française, les universités étrangères ne connaissant pas cette dichotomie. Si les travaux du CNRS sont relativement bien connus à l’étranger, il n’en va pas toujours de même pour les recherches universitaires qui se trouvent de fait dans l’ombre de celles du CNRS.

Enfin, l’Université française, à la différence de la plupart des universités dans le monde, n’est pas (encore ?) sélective, du moins lors de la première inscription. On connaît la question du tirage au sort des candidats en médecine justement dénoncée comme aberrante et qui, mise en avant par le ministère de l’Enseignement supérieur, a permis de réformer l’ensemble du système des inscriptions universitaires sans susciter la grogne des étudiants. Les élus de la France insoumise ont tenté de mobiliser les étudiants dès la rentrée universitaire 2017, venant parfois eux-mêmes dans les universités porter leur bonne parole, sans grand succès. L’automne est sans doute une saison moins propice à la contestation que le printemps et les étudiants sont bien conscients qu’il existe une sélection de fait à l’issue de la première année. Aussi, tant que le gouvernement n’augmente pas les droits d’inscription, si ce n’est à la marge, la contestation étudiante risque de rester mesurée. Pour les étudiants plus avancés, le souvenir des longues grèves contre l’autonomie des universités ne les pousse pas à reprendre la « lutte » car les résultats obtenus furent dérisoires, pour ne pas dire inexistants ; pour un certain nombre d’entre eux, l’année universitaire fut même perdue et, pour les plus fragiles financièrement, cela a pu les conduire à arrêter totalement leurs études. Si la France insoumise compte nombre de ses électeurs parmi les étudiants et les enseignants, universitaires ou non, il semblerait que ceux-ci n’aient pour le moment plus l’énergie politique pour se lancer dans le combat.

En Espagne, la résistance des étudiants contre le modèle unique européen de cursus (licence de trois ans, master de deux ans, doctorat) a été beaucoup plus forte qu’en France, d’autant que la mise en place du nouveau système s’est accompagnée d’une augmentation des frais d’inscriptions qui a été perçue comme une attaque contre l’université publique dans un contexte de privatisation de nombreux secteurs publics (par exemple des pans importants du système sanitaire dans certaines régions). Le parti Podemos a été fondé par des enseignants de l’université Complutense de Madrid et a été relayé en Catalogne par des enseignants de l’université de Barcelone. Mais, aujourd’hui, la position de ce parti dans la crise politique catalane brouille le message de la gauche sur les services publics en général et sur l’Université en particulier.

Les responsables politiques de gauche comme de droite n’ont pas suffisamment pris conscience de l’importance des recherches scientifiques, que ce soit dans le champ des sciences exactes ou des sciences humaines et sociales, pour comprendre les évolutions de la société et du monde. Sans doute ont-ils été trop confiants dans la qualité et la pérennité de l’Université française, et dans son attractivité – la France est le troisième pays du monde par le nombre d’étudiants étrangers et une antenne de l’université Paris-Sorbonne Paris-IV est implantée aux Émirat arabes unis à leur demande1. Aussi n’ont-ils pas perçu combien le modèle universitaire américain s’imposait non seulement à la France, mais à l’ensemble du monde, avec ses côtés performants et ses aspects négatifs, dont le coût exorbitant des études dans les universités les plus prestigieuses (voir les articles de Christophe Strassel et Michel Mudry). La norme du LMD (Licence-Master-Doctorat) s’est diffusée d’autant plus largement qu’elle est devenue celle des États membres de l’UE, à travers le processus de Bologne (1999) qui vise à faire de l’Europe un « espace compétitif à l’échelle mondialisée de l’économie de la connaissance ». Mais cette norme est aussi devenue celle de la Turquie (voir l’article de Nora Seni), de la Russie et de nombreux autres États en raison des liens historiques, politiques et linguistiques qui les unissent à l’Europe ou à la Fédération de Russie.

Dans cette compétition universitaire mondialisée, l’arrivée de la Chine (voir l’article de Jean-François Vergnaud et Alain-James Palisse) bouscule le paysage avec ses millions d’étudiants sélectionnés à l’entrée (9,3 millions de candidats pour 7 millions de places), les meilleurs d’entre eux ayant alors accès aux universités les plus prestigieuses. Désormais, le monde universitaire chinois participe pleinement à la mondialisation universitaire : avec plus de 700 000 étudiants en mobilité, la Chine est devenue le premier pays d’origine des étudiants internationaux et elle compte accueillir 500000 étudiants étrangers en 2020 (377000 en 2014, dont 10 000 Français et 24 000 Américains). La plupart des jeunes qui y font leurs études supérieures viennent pour l’instant des pays voisins, principalement de Corée du Sud, et d’Afrique. L’objectif est d’attirer des étudiants d’autres régions du monde.

Nous aurions souhaité pouvoir comparer la situation chinoise et la situation indienne (l’article ne nous est pas parvenu), pour étudier les conséquences de l’émergence universitaire de deux grandes puissances, avec cet atout pour l’Inde qu’est la maîtrise de la langue anglaise par ses intellectuels et nombre de ses étudiants.

Quel sera demain le poids de la recherche et de l’Université française dans cette mondialisation de la connaissance ?

Toutefois, cet objectif d’un monde universitaire mondialisé et concurrentiel est loin d’être atteint au vu du faible pourcentage d’étudiants qui s’expatrient pendant leur cursus (la moyenne mondiale s’établit à 1,8%). Selon Campus France, en 2015, 73 400 Français étudiaient à l’étranger, soit 3,5 % des 2,1 millions d’étudiants français, et 3,1% si l’on prend en compte les 300000 étrangers qui étudient dans l’Hexagone (4,3% en Allemagne). Pourtant, la représentation d’un monde universitaire d’ores et déjà mondialisé domine aujourd’hui, ce qui contribue à obérer le rôle national, social et même politique des universités surtout en sciences humaines et sociales. En cette année du cinquantenaire de la création de « Vincennes », et donc de Paris-8, et pour y avoir enseigné pendant quarante ans, il me faut rappeler ce rôle et l’importance d’y faire vivre des formations non seulement d’excellence mais aussi novatrices. Dans le domaine des relations internationales, longtemps négligées par les universités françaises, Paris-8 a su innover. Ainsi, alors que depuis quelques années de grands établissements de l’enseignement supérieur (ENS, Sciences Po, HEC, etc.) se flattent de leurs accords de coopération avec des établissements chinois, j’ai fierté et plaisir à rappeler que, dès 1981, le département de littérature de Paris-8 a signé un accord de coopération avec l’Institut des langues étrangères de Xi’an, dans la province du Shaanxi, suivi d’un second en 1984 avec le groupe de traduction de l’œuvre de Luxun de la section de français de l’université Fudan. En 1985, un nouvel accord de coopération et d’échange est signé, cette fois avec l’Institut des langues étrangères de Shanghai. Puis, en 1988, c’est le département cinéma qui passe un accord avec l’université de Hangzhou, signé par Francine Demichel alors présidente, suivi d’un programme de travail sur l’année 1989-1990 avec les studios cinématographiques et la direction culturelle de la province du Shaanxi, puis d’un accord de coopération avec le Beijing Broadcasting Institute et China Film Archives en 2002 pour préserver le patrimoine cinématographique chinois, et, enfin, un accord de coopération est signé en 2010 avec la School of Cinema and Television, Communication University of China. Le département cinéma continue cette active coopération et il est, à ma connaissance, le seul département qui accueille des étudiants chinois sans exiger qu’ils maîtrisent parfaitement la langue française pour s’inscrire à l’université, soucieux d’accueillir ces étudiants qui ne passent pas par la voie officielle, c’est-à-dire sans l’accord du gouvernement, pour la majorité d’entre eux. Grâce à ces accords comme à celui avec la Beijing Film Academy (qui a formé tous les grands cinéastes chinois), ces étudiants connaissent le département cinéma de Paris-8 et viennent y chercher une liberté de ton.

Espérons que Paris-8 saura la préserver et qu’elle ne sera pas étouffée par les normes concurrentielles de la mondialisation universitaire.


L’institut Français de Géopolitique offre des formations de master intenses, exigeantes et passionnantes !

Hérodote est historiquement liée à la formation en géopolitique (master et doctorat) de l’Université Paris 8 — Vincennes - Saint-Denis, l’Institut Français de Géopolitique (IFG) où ont enseigné son fondateur Yves Lacoste, sa directrice Béatrice Giblin (également fondatrice de l’IFG), et une partie importante de l’équipe de la revue.

La première année est consacrée à la formation à et par la recherche, qui est au cœur du projet intellectuel et citoyen de l’École France de Géopolitique. Les étudiants et les étudiantes doivent écrire un mémoire de recherche d’une centaine de page appuyé sur une enquête de terrain d’un mois en autonomie. Un accompagnement fort leur est proposé pour favoriser leur réussite durant cette année si différente de leurs expériences précédentes.

En seconde année, quatre spécialisations professionnalisantes sont possibles : géopolitique locale et gouvernance territoriale, géopolitique du cyberespace, nouveaux territoires de la compétition stratégique, analyse des risques géopolitiques et environnementaux. Toutes ces spécialisations sont ouvertes à l’alternance, et la majorité des étudiants et des étudiantes a désormais un contrat d’apprentissage. Celles et ceux qui souhaitent faire une seconde année de recherche le peuvent, notamment en préparation d’un projet de doctorat.

Avec 85 places en première année, le master de l’IFG offre aussi une véritable vie collective de promo, animée notamment par une association étudiante dynamique. Les étudiantes et étudiants viennent de nombreuses formations et disciplines, notamment : géographie, d’histoire, de droit, de sociologie, de science-politique, Économie et gestion, langues (LLCE/LEA) ou de classes préparatoires.

Les candidatures en première année de master se font exclusivement via la plateforme nationale monmaster.gouv.fr du 26 février au 24 mars 2024. Toutes les informations utiles se trouvent sur le site www.geopolitique.net. En deuxième année, les candidatures doivent passer par le site de l’Université. L’IFG n’offre pas de formation au niveau licence.

  • Les Auteurs

    Afficher les auteurs en cliquant sur l'initiale de leur nom :
    (Uniquement à partir du numéro 109, second trimestre 2003)
    A B C D E F G H I J K L M
    N O P Q R S T U V W X Y Z

  • Thèmes envisagés

    Thème (date de rendu des articles)
    - Bassin de la mer Rouge (non déterminé)
    - Climat et Géopolitique (non déterminé)
    - Aérien et spatial (non déterminé)… Lire la suite.

  • Abonnements

    « Papier » uniquement :

    - Télécharger et imprimer un bulletin d'abonnement

    « Papier » + accès numérique :
    - via cairn.info

  • Trouver Hérodote

    - En version « papier » dans votre librairie : voir lalibrairie.com ou placedeslibraires.fr.
    - En version html et PDF, à l'article ou au numéro sur cairn.info.
    - Dans les bibliothèques universitaires : voir les disponiblités (sudoc).
    - Les numéros anciens et souvent indisponibles sont sur Gallica, le portail de la BNF.

  • Newsletter

    S'inscrire à la newsletter (uniquement les publications d'Hérodote ; désormais distincte de celle de l'Institut Français de Géopolitique).

  • Nous écrire

     
      Questions sur les abonnements