Désordre, pouvoirs et recompositions territoriales au Sahara

par André Bourgeot, Emmanuel Grégoire

Depuis une dizaine d’années, on assiste à un retour du Sahara sur la scène politique internationale et médiatique. Cette immense étendue désertique traverse en effet une période agitée en raison de l’installation de groupes terroristes islamistes sur son sol, du développement de trafics en tous genres (cigarettes, drogues, armes, etc.), de l’immigration clandestine de Subsahariens qui fait craindre à l’Union européenne l’arrivée massive d’Africains dans ses pays membres et enfin de la compétition engagée entre pays du Nord et émergents pour s’approprier ses richesses minières et pétrolières.

Espace très convoité, le Sahara est désormais morcelé en une série de territoires et de routes contrôlés par des acteurs multiples et variés qui se moquent des frontières étatiques. Sa géopolitique s’en trouve bouleversée, les cartes se redistribuent sans que l’on sache encore qui aura les meilleurs atouts dans son jeu. Vieille de plus de cent ans, l’hégémonie française est d’ores et déjà battue en brèche par les États-Unis dont le retour en force (2002) s’explique par des motifs sécuritaires : lutter contre le terrorisme international après les attentats du 11 septembre 2001. Depuis 2007, elle est également remise en cause par la Chine qui effectue une percée remarquée en Afrique.

Au nord du Sahara, le suicide d’un petit vendeur de fruits et légumes racketté par la police tunisienne a déclenché la « révolution des jasmins » qui entraîna la chute du président Zine el-Abidine Ben Ali, puis les « printemps arabes » dont le président égyptien Hosni Moubarak fut la seconde victime. En Libye, le mouvement de contestation prend la forme d’une insurrection armée qui constitue un événement majeur. Quelle que soit son issue, il y aura un « avant » et un « après » avec, ou très probablement sans, le colonel Mouammar Kadhafi. Stable depuis de longues années, le Maghreb est en pleine effervescence, des régimes forts sont fragilisés ou s’effondrent, ce qui ne sera pas sans conséquences sur leur politique saharienne.

Au sud du Sahara, la conjoncture est moins incertaine. On est ici face à des États faibles (Mauritanie, Mali, Niger et Tchad) dont la géographie est caractérisée par un fort contraste entre une zone agricole autrefois qualifiée d’utile et une aire semi-désertique (zone pastorale) et désertique beaucoup plus étendue. Tous sont des PMA (pays moins avancés), confrontés à la persistance de la pauvreté et ayant pour priorité d’assurer l’autosuffisance alimentaire de leur population avec le soutien permanent de l’aide extérieure. La composition de leurs populations est identique : tous ces États sont peuplés, au sud, de populations noires sédentaires vivant de l’agriculture tandis que leur partie Nord est le berceau de pasteurs maures, touaregs et toubous ainsi que d’oasiens.

Les contributions rassemblées ici présentent des recherches entreprises, parfois depuis de longues années, tant en Afrique du Nord qu’en Afrique subsaharienne. Notre propos – l’étude des chamboulements géopolitiques et des recompositions territoriales à l’œuvre au Sahara – s’ordonne autour de quatre thèmes : les cir­culations marchandes et humaines, qu’elles soient licites, illicites ou criminelles ; la porosité des frontières, comme le montre le développement de la fraude et des trafics y compris d’otages, qui est lié au faible contrôle étatique dont l’espac­e sahélo-saharien est l’objet et dont a profité AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique) pour s’implanter au Mali ; la captation des rentes engendrées par cette situation de désordre et de transformations géoéconomiques : l’exploitation des richesses pétrolières et minières sahariennes donne lieu à leur prise de contrôle par des entreprises étrangères qui assurent des rentes que les élites nationales accaparent ; l’apparition de nouveaux pouvoirs liés à ces rentes (groupes terroristes, contrebandiers et trafiquants, réseaux d’immigration clandestine, etc.) pose des enjeux sécuritaires qui conduisent les États-Unis et l’Europe à ne plus tolérer de tels troubles.

Le Sahara des circulations

Chaque période de l’histoire saharienne se caractérise par ses propres circulations marchandes et humaines, les oasis et les villes en étant les points nodaux : l’ère précoloniale a été marquée par les caravanes de sel et de natron qui reliaient, par exemple, les oasis de Bilma et de Fachi au Niger à la ville de Kano (Nigeria) ou celle de Taoudenni (Mali) à Tombouctou. D’autres caravanes acheminaient des vivres (dattes, céréales), du bétail et diverses marchandises. Enfin, les esclaves faisaient l’objet d’une traite intense entre les deux rives du Sahara qui constituait une aire de transit. Tous ces flux ont permis l’émergence de grandes fortunes sahariennes ; la colonisation entraîna un changement géopolitique radical : parfois non sans mal (révoltes touarègues de 1916 et 1917), elle imposa des frontières dans un espace auparavant ouvert et le scinda en une série de territoires que la conférence de Berlin 1884-1885 attribua principalement à la France et à la Grande-Bretagne. Ces puissances affaiblirent le commerce transsaharien au profit de flux côtiers et de voies qu’elles avaient ouvertes depuis les ports du golfe de Guinée. Parallèlement, elles tracèrent de nouvelles routes indispensables à leur contrôle politique et à la circulation de leurs camions militaires et de ravitaillement. À partir des années 1930, l’arrivée de l’automobile révolutionna le transport saharien en rapprochant lieux et populations. Les commerçants sahariens investirent dans l’achat de camions qui leur permirent de réduire les temps de parcours, de couvrir des distances plus grandes et de développer ainsi leurs affaires. Grâce à ces progrès technologiques et sous l’effet de besoins grandissants en sources d’énergie, les campagnes de prospections pétrolières et minières européennes s’intensifièrent au cours des années 1950, le Sahara étant convoité pour les richesses de son sous-sol (pétrole, uranium, fer, charbon, manganèse, etc.).

Au lendemain des indépendances des pays d’Afrique du Maghreb et du Sahel, la naissance d’États modernes ne modifia pas la nature des flux locaux et trans­sahariens qui demeuraient modestes tant en valeur qu’en quantité. Certains d’entre eux furent interrompus sous l’effet des conflits régionaux (celui de la bande d’Aozou au Tchad ou celui du Sahara occidental) ou intérieurs comme les rébellions touarègues.

Avec les années 1970 apparaît un nouvel acteur sur la scène saharienne : le touriste. Le Sahara qui a toujours fasciné les Européens possède de sérieux atouts avec les massifs de l’Ahaggar, de l’Ajjer, de l’Aïr et de l’Adrar des Iforas séparés par de vastes étendues dunaires comme le désert du Ténéré, parfois qualifié de « désert des déserts ». Ses villes (Agadez, Tombouctou, Tamanrasset, Atar, Ghât, etc.) contribuent aussi à son intérêt touristique si bien que l’activité connut un certain essor puis périclita sous l’effet de l’insécurité ; le rallye Paris-Dakar le déserta en 2009.

Les années 1990 et plus encore 2000 marquent une nouvelle ère marquée par de profondes transformations, celles de la mondialisation et de l’insécurité qui, de résiduelle après les rébellions touarègues, devient structurelle. Le commerce saharien s’est alors diversifié et internationalisé, le Sahara étant désormais, pour partie, approvisionné depuis la Chine. À cette même époque, aux flux locaux et à longue distance traditionnels s’ajoutèrent des mouvements importants portant sur le bétail et plus encore sur les cigarettes importées au Niger depuis les ports de Cotonou et de Lomé puis réexportées clandestinement en Libye et en Algérie où l’entrée de ces produits est prohibée ; ce négoce est à l’origine de la fortune d’hommes d’affaire­s et de hautes personnalités politiques.

À ces flux marchands transsahariens se greffèrent, autre chamboulement des années 1990, des mouvements migratoires de grande ampleur qui sont le fait de Subsahariens (voir le texte de Julien Brachet, Armelle Choplin et Olivier Pliez). Ces flux participent à l’élargissement de l’espace migratoire lorsque à la migration « à destination du Sahara » se sont ajoutées une migration entre les « deux rives du Sahara » puis une « migration transsaharienne à destination de l’Europe ». Ces circulations comportent des enjeux économiques à travers le développement des activités qu’elles impulsent en termes de transport et de logement dans les localités de transit.

Les rébellions touarègues des années 1990 puis 2000 ont affecté les cir­culations marchandes et humaines en instaurant un climat d’insécurité : le Sahara redevient un espace dangereux aux mains de trafiquants de toutes sortes et de groupes armés constitués d’anciens rebelles touaregs. Parallèlement, il est devenu une aire de transit de stupéfiants : Simon Julien dans son texte décrit les principales routes empruntées par les trafiquants de hachisch et de cocaïne, ainsi que l’organisation de leurs réseaux (15 % de la production mondiale de cocaïne transiterait par l’Afrique de l’Ouest). À une économie entre licite et illicite s’est donc juxtaposée une économie criminelle qui constitue un mode d’insertion dans l’économie mondiale. La brigade salafiste d’Al-Qaïda au Maghreb islamique est impliquée dans le transport de la précieuse marchandise et touche une dîme lors de son passage dans la zone qu’elle contrôle, ce qui n’est pas sans dangers pour la stabilité de la région. Auparavant limitées à l’Algérie, les actions du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) devenu AQMI en janvier 2007 se sont étendues à l’espac­e saharo-sahélien occidental (Mauritanie, Mali et Niger) où l’organisation se livre aussi au trafic d’otages. Ses opérations de commando pour enlever des Européens ont contribué à faire de l’espace saharien une aire de non-droit qui était auparavant limitée aux seules régions frontalières.

La porosité des frontières sahariennes

Les frontières sahariennes, comme ailleurs en Afrique, sont nées du découpage colonial que les indépendances n’ont pas remis en cause. Mais la guerre civile actuelle en Libye pourrait conduire à l’éclatement de ce pays en trois entités distinctes (la Cyrénaïque, la Tripolitaine et le Fezzan), voire même à d’autres redécoupages sous la pression de nouvelles revendications territoriales, notamment celles de groupes touaregs.

Les frontières sahariennes n’ont jamais constitué un obstacle aux échanges marchands. Comme ailleurs en Afrique, elles en ont été plutôt un adjuvant dans la mesure où leur perméabilité fournit des opportunités de commercer. Les acteurs peuvent jouer et se jouer des différences de politiques économiques suivies par les États, de leur appartenance à des zones monétaires distinctes (franc CFA, dinar algérien et libyen, dirham marocain, ouguiya mauritanien, livre égyptienne et soudanaise) et du prix et de la disponibilité des marchandises de part et d’autre des frontières. En prenant l’exemple du gros commerce de fraude portant sur le lait en poudre lahda subventionné en Algérie, Judith Scheele qualifie dans son article les frontières de ressource pour les commerçants et les populations qui parviennent à se ravitailler à bon marché. Plus encore, elles sont devenues indispensables aux économies locales : une intégration réelle des économies interrégionales s’est opérée de fait et en l’absence d’organisation supranationales, la Cen-Sad (Communauté des États sahélo-sahariens) étant plus à l’état de projet qu’une réalité (l’Algérie n’y a pas adhéré).

À propos du trafic du hachisch et de la cocaïne, la porosité des frontières sahariennes et la faiblesse des systèmes judiciaires et policiers nationaux ont constitué pour les trafiquants un avantage comparatif déterminant dans leur choix d’emprun­ter, depuis 2006, la voie sahélienne vers l’Europe. Loin d’être combattue par leurs dirigeants, l’arrivée de ces produits est, au contraire, tolérée car ils permettent l’apport de cash que l’économie formelle et les projets de développement sont incapables de fournir aux populations. Ces trafics de drogue vont de pair avec une accélération de la circulation des armes, d’abord légères, puis lourdes depuis la guerre civile en Libye. Aussi, la zone sahélo-saharienne se caractérise-t-elle par un fort développement des activités criminelles qui s’effectuent en toute impunité : les frontières protègent les trafiquants locaux des poursuites et ralentissent les enquêtes. De plus, ils bénéficient de l’appui de réseaux structurés au sein desquels sont impliquées de hautes personnalités politiques (cas de la Guinée-Bissau notamment) et des militaires de haut rang comme l’attestent les arrestations de personnages importants et de membres des forces de sécurité.

Le Sahara est aussi en passe de devenir une frontière migratoire de l’Europe. L’accroissement des contrôles des migrants en zone saharienne a redéfini la géopolitique de l’espace et trois frontières se dessinent (voir Brachet, Choplin, Pliez). La première correspond aux limites politiques de l’espace Schengen et est de plus en plus efficacement fermée. La deuxième, le long des côtes d’Afrique du Nord et de l’Ouest, prend la forme d’un espace-tampon parsemé de camps de rétention, dans lequel s’opérerait le filtrage des migrants et des réfugiés. Une troisième frontière, aux contours flous et mouvants, quasi dématérialisée, se met en place par répercussion à des milliers de kilomètres au sud. Cette dernière frontière n’est pas une ligne, mais un vaste espace saharo-sahélien où les circulations vers le Nord sont de plus en plus entravées. En son sein, le long des routes, les migrants sont soumis à des contrôles, des taxes, des arrestations et des refoulements.

Les frontières jouent également un rôle important dans le domaine du terrorisme. L’AQMI utilise la frontière nigéro-malienne dans sa stratégie de prises d’otages (voir le texte d’André Bourgeot). Ce groupe « s’approvisionne » en territoire nigérien, comme l’ont montré les enlèvements de Michel Germaneau (avril 2010), des sept employés des groupes Areva et Satom (septembre 2010) et des deux jeunes gens dans un restaurant de Niamey (janvier 2011), puis « stocke » ses otages dans la région montagneuse du Timétrine située au nord-ouest de l’Adrar des Iforas (Mali). La présence de ce groupe salafiste y transforme les pratiques sociales des populations locales dans leur vie quotidienne où elles se voient contraintes de se plier à leurs normes religieuses (statut de la femme). Toutefois, l’assise sociale de l’AQMI paraît encore faible, ce groupe représentant 300 à 500 personnes selon des sources policières occidentales.

L’enlèvement des sept Français a subitement arrêté le chantier de construction de la nouvelle mine d’uranium d’Imouraren qui doit pourvoir au besoin des nouvelles centrales nucléaires françaises et assurer dans l’avenir des recettes importantes au Niger. Le problème de la gestion de sa frontière avec le Mali se pose donc avec acuité au gouvernement de Niamey afin que l’exploitation des gisements d’uranium ne soit pas perturbée, objectif poursuivi par l’AQMI qui entend déstabiliser les États de la région pour en tirer profit afin de mettre en place des émirats.

Sur un vaste ensemble, on assiste à une parcellisation et une spécialisation de l’espace sahélo-saharien en une série de territoires ou de routes affectés à des activités précises : chaque groupe en a ses propres perception et utilisation. Dans ce contexte, les frontières et l’hinterland saharien sont de moins en moins contrôlés par les États, notamment subsahariens qui sont les plus faibles.

Le Sahara des rentes

Parallèlement à l’accélération des flux de marchandises sous l’effet de la mondialisation, les ressources naturelles de la planète deviennent l’objet de multiples convoitises comme en témoignent les recherches pétrolières et minières désormais effectuées dans des zones autrefois négligées pour des raisons de coût (voir l’article de Benjamin Augé). Les cours élevés des matières premières ont modifié en profondeur la géographie des zones d’exploration dans le monde et en particulier dans la zone saharienne de l’Afrique. Les pays sahélo-sahariens (Mauritanie, Mali, Niger, Tchad et Soudan) deviennent stratégiques dans la compétition à laquelle se livrent les sociétés nationales d’Afrique du Nord pour des raisons de contrôle géopolitique de leur arrière-pays, des sociétés asiatiques à commencer par la CNPC (China National Petroleum Corporation) et des multinationales. Ces sociétés mettent en place des stratégies élaborées pour s’accaparer la rente (diplomatie du « cadeau » pour la Chine). L’exploitation de l’uranium au Niger (voir le texte d’Emmanuel Grégoire) montre comment les élites politiques, à savoir le président Mamadou Tandja, à présent destitué, et son entourage, ont mis en place un dispositif pour accaparer la rente issue de la délivrance de permis d’exploration. De manière analogue au pétrole, l’uranium qui est aussi une source d’énergie indispensable à l’économie mondiale, favorise la corruption et influe fortement sur la vie politique intérieure et étrangère des États, comme l’illustre l’exemple du Niger. Ces rentes issues de l’exploitation pétrolière ou uranifère ont aussi donné naissance à des conflits régionaux, notamment la rébellion touarègue nigérienne qui a dénoncé le faible bénéfice tiré par cette communauté de l’exploitation des gisements miniers d’Arlit qui, selon elle, profitaient à des populations haoussas et djermas originaires du sud du pays davantage qu’aux populations locales.

Les relations entre les réseaux de commerce régionaux et les États, lieux d’accumulation par excellence, posent le problème de la rente marchande. Commerçants et hommes d’affaires ainsi que pouvoirs politiques se rencontrent pour se partager les rentes frontalières, animateurs et protecteurs ayant un intérêt commun. Les seconds interviennent pour soumettre les premiers à leurs visées politiques et financières tandis que les premiers tentent de les englober, parfois de les déborder, en vue de maximiser leur accumulation. À quelque échelle que ce soit, du plus simple contrebandier au trafiquant de drogue, la corruption est omniprésente dans la zone sahélo-saharienne et permet aux affaires de se concrétiser. On la retrouve dans le domaine de la migration où les agents de l’État (policiers et douaniers) chargés du contrôle de la mobilité en tirent profit.

Les trafics de stupéfiants donnent évidemment lieu à des rentes beaucoup plus importantes qui se situent au niveau même des dirigeants des États comme la presse s’en est fait l’écho à propos de la Guinée-Bissau, pays par où transite la cocaïne depuis l’Amérique latine, ce qui souligne le caractère transcontinental de l’activité. Que ce soit donc pour le commerce saharien et transsaharien illicite, les trafics liés à l’économie criminelle, les mouvements migratoires ou l’exploitation des richesses minières et pétrolières, l’enjeu est identique : l’appropriation de la rente même si celle-ci n’implique pas les mêmes moyens.

Les nouveaux enjeux sécuritaires

La présence de mouvements terroristes islamistes, le développement du trafic des stupéfiants et des armes, les migrations clandestines et les nouveaux enjeux miniers et pétroliers ont fini par mettre la question de la sécurité sur le devant de la scène, les États sahariens et les puissances occidentales ne pouvant plus tolérer un tel désordre : le Sahara est désormais un « front de guerre contre le terrorisme », les États-Unis jugeant que leur propre sécurité est dépendante des succès contre le terrorisme, tout particulièrement au Maghreb-Sahel dont sont originaires des combattants affrontés en Afghanistan. Dès 2002, soit un an après les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis cherchent à renforcer les capacités des gouvernements de la région. La stratégie américaine consiste en effet à sous-traiter aux États la lutte contre le terrorisme et les trafiquants de drogue tout en leur en donnant les moyens. En cela, ils tirent les conclusions de leurs interventions en Irak et en Afghanistan.

Les intérêts vitaux de la France sont aussi menacés par l’instabilité de la région qui s’est traduite par l’enlèvement de plusieurs de ses ressortissants et des menaces non dissimulées sur ses intérêts économiques et politiques. C’est pourquoi elle cherche à développer sa coopération sécuritaire et militaire avec ses anciennes colonies sahéliennes, notamment dans le domaine des flux migratoires à destination de l’Europe. Les amalgames entre « terrorisme » et « migration clandestine » sont de plus en plus récurrents si bien que des États comme l’Algérie ont renforcé leurs contrôles des déplacements dans la zone à la satisfaction des États-Unis et de l’Europe. L’Algérie entend bien en effet être la puissance hégémonique au Maghreb et au Sahel dans la mesure où elle dispose d’un certain savoir-faire dans la lutte antiterroriste comme en témoigne son histoire récente (voir le texte de Salim Chena).

Seule la Libye du colonel Kadhafi aurait pu lui contester ce rôle, ce dernier s’étant tourné dès son arrivée au pouvoir en 1969 vers le sud du Sahara. À la fin des années 1980, il incite les Touaregs à s’engager dans la légion islamique puis joue un rôle important dans la résolution des rébellions touarègues. La guerre civile en Libye risque de bouleverser la géopolitique régionale quelle que soit son issue (voir J.-F. Daguzan et de J.-Y. Moisseron). Les enjeux sont considérables et les conséquences difficilement envisageables tant les scenarios peuvent être nombreux. Une chose est certaine : la distribution massive d’armes non seulement légères, mais aussi lourdes, à laquelle s’est massivement livré le « guide de la révolution » pour lutter contre les insurgés de Benghazi va considérablement accroître une insécurité déjà très forte. L’AQMI en a profité pour s’équiper en armes lourdes (missiles antiaériens et explosifs) tandis que des Touaregs maliens et nigériens, dont plusieurs centaines combattent aux côtés des forces pro-Kadhafi, se sont équipés en armes légères avec certainement l’objectif de s’en servir un jour.

Dans cette conjoncture agitée et changeante, les États sahéliens paraissent démunis. Malgré les efforts des États-Unis et de la France, les carences de leurs forces militaires demeurent réelles, l’étendue des zones à contrôler ne facilitant pas la surveillance. Face aux divergences entre pays du Sahel et entre ceux-ci et l’Algérie, la régionalisation de la lutte contre le terrorisme paraît impossible, le Sahara demeurant un enchevêtrement de logiques géopolitiques contradictoires où s’entremêlent les objectifs des États, ceux des puissances étrangères et, entre les deux, des populations démunies et sans avenir qui ne se reconnaissent parfois pas dans les États nés de la décolonisation (voir Antonin Tisseron).

Ce numéro a été décidé et pensé à l’automne 2010 soit avant les événements du printemps arabe et achevé en juin 2011.


L’institut Français de Géopolitique offre des formations de master intenses, exigeantes et passionnantes !

Hérodote est historiquement liée à la formation en géopolitique (master et doctorat) de l’Université Paris 8 — Vincennes - Saint-Denis, l’Institut Français de Géopolitique (IFG) où ont enseigné son fondateur Yves Lacoste, sa directrice Béatrice Giblin (également fondatrice de l’IFG), et une partie importante de l’équipe de la revue.

La première année est consacrée à la formation à et par la recherche, qui est au cœur du projet intellectuel et citoyen de l’École France de Géopolitique. Les étudiants et les étudiantes doivent écrire un mémoire de recherche d’une centaine de page appuyé sur une enquête de terrain d’un mois en autonomie. Un accompagnement fort leur est proposé pour favoriser leur réussite durant cette année si différente de leurs expériences précédentes.

En seconde année, quatre spécialisations professionnalisantes sont possibles : géopolitique locale et gouvernance territoriale, géopolitique du cyberespace, nouveaux territoires de la compétition stratégique, analyse des risques géopolitiques et environnementaux. Toutes ces spécialisations sont ouvertes à l’alternance, et la majorité des étudiants et des étudiantes a désormais un contrat d’apprentissage. Celles et ceux qui souhaitent faire une seconde année de recherche le peuvent, notamment en préparation d’un projet de doctorat.

Avec 85 places en première année, le master de l’IFG offre aussi une véritable vie collective de promo, animée notamment par une association étudiante dynamique. Les étudiantes et étudiants viennent de nombreuses formations et disciplines, notamment : géographie, d’histoire, de droit, de sociologie, de science-politique, Économie et gestion, langues (LLCE/LEA) ou de classes préparatoires.

Les candidatures en première année de master se font exclusivement via la plateforme nationale monmaster.gouv.fr du 26 février au 24 mars 2024. Toutes les informations utiles se trouvent sur le site www.geopolitique.net. En deuxième année, les candidatures doivent passer par le site de l’Université. L’IFG n’offre pas de formation au niveau licence.

  • Les Auteurs

    Afficher les auteurs en cliquant sur l'initiale de leur nom :
    (Uniquement à partir du numéro 109, second trimestre 2003)
    A B C D E F G H I J K L M
    N O P Q R S T U V W X Y Z

  • Thèmes envisagés

    Thème (date de rendu des articles)
    - Bassin de la mer Rouge (non déterminé)
    - Climat et Géopolitique (non déterminé)
    - Aérien et spatial (non déterminé)… Lire la suite.

  • Abonnements

    « Papier » uniquement :

    - Télécharger et imprimer un bulletin d'abonnement

    « Papier » + accès numérique :
    - via cairn.info

  • Trouver Hérodote

    - En version « papier » dans votre librairie : voir lalibrairie.com ou placedeslibraires.fr.
    - En version html et PDF, à l'article ou au numéro sur cairn.info.
    - Dans les bibliothèques universitaires : voir les disponiblités (sudoc).
    - Les numéros anciens et souvent indisponibles sont sur Gallica, le portail de la BNF.

  • Newsletter

    S'inscrire à la newsletter (uniquement les publications d'Hérodote ; désormais distincte de celle de l'Institut Français de Géopolitique).

  • Nous écrire

     
      Questions sur les abonnements