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Depuis deux ou trois ans, les déclarations de Vladimir Poutine, comme celles de ses ministres de la Défense ou des Affaires étrangères, traduisent la ferme intention du gouvernement russe de marquer désormais les limites aux interven- tions des Occidentaux sur son « étranger proche ». Si la Russie en faillite à la fin des années 1990 n’était pas en mesure de s’opposer à l’intégration des Pays baltes dans l’OTAN, ni à celle de ses anciens pays satellites de l’Europe de l’Est (Hongrie, Roumanie, Bulgarie), il n’en est plus de même désormais, les revenus des hydro- carbures lui donnant une aisance financière considérable. Certains observateurs de la Russie y voient même une sorte de réveil de la guerre froide, ce qui n’est pourtant pas (encore) le cas, même si semble loin le temps où Vladimir Poutine donnait son accord à l’installation de bases américaines au Tadjikistan et au Kirghizstan dans le cadre de la lutte contre le terrorisme islamique.

Ainsi, le souhait de l’Ukraine et de la Géorgie d’intégrer l’OTAN a rencontré une très vive opposition de la part de la Russie qui, elle, y voit une menace directe envers son propre territoire et sa zone d’influence traditionnelle.

Ces demandes d’intégration accompagnaient ce qui fut appelé les révolutions de couleur - orange en Ukraine, rose en Géorgie -, c’est-à-dire les mouvements politiques qui ont agité l’Ukraine, la Géorgie et le Kirghizstan. Ces mouve- ments furent dus pour une part à l’action d’ONG, publiques et privées, améri- caines et européennes. Le choix même du terme, révolutions de couleur, allusion à la couleur des écharpes et autres bannières arborées par les manifestants, contri- bua à donner à ces mouvements une allure médiatique, bon enfant, sympathique et surtout pacifiste.

En vérité, ces « révolutions » n’ont pas débouché sur de profonds change- ments, les pratiques des nouveaux gouvernants ressemblant fortement à celles deleurs prédécesseurs, au point que l’on peut se demander s’il est encore utile aujourd’hui de leur donner de l’importance. Si ces mouvements ont conduit à des impasses politiques, il n’en est cependant pas moins intéressant d’étudier la façondont les ONG sont intervenues pour les orienter, voire les manipuler, au nom de la démocratie et de la liberté. Ces ONG avaient aussi pour but d’ancrer dans le camp occidental pro-américain les États de l’étranger proche de la Russie. Ce n’est bien évidemment pas la première fois que des États - et dans ce cas précis principale- ment les États-Unis - cherchent à influencer le cours des évolutions politiques d’autres États, et toujours au nom de grands principes. À l’époque de la guerre froideles interventions masquées se faisaient au nom de la liberté et de la démo- cratie pour le camp occidental, et de la justice et de l’égalité pour le camp commu- niste,chacun cherchant à étendre sa zone d’influence au détriment de l’adversaire. Mais cette fois le contexte géopolitique est autre puisque nous ne sommes plus dans le temps de la guerre froide et que les méthodes d’intervention sont diffé- rentes, les ONG exerçant leur action au grand jour et leur donnant même une certainepublicité. Ce nouveau mode d’action des États pour exercer leur influence a d’ailleurs été conceptualisé aux États-Unis par Joseph Nye (1990) sous le vocable de soft power, c’est-à-dire lacapacité de séduire et persuader les autres États pour faire en sorte qu’ils veuillent la même chose que soi.

Il nous a donc semblé intéressant de revenir sur cette nouvelle forme d’action américaine, et dans une moindre mesure européenne, même si depuis, à l’instar de George Soros, certaines ONG ont quitté les lieux, sans doute découragées par l’évolution peu glorieuse des révolutions de couleur.

C’est pourquoi, pour ce numéro, parmi d’autres articles, nous avons accueilli la proposition de Boris Petric de publier les analyses de ces mouvements par des chercheurs - anthropologues, historiens, politistes - dont les approches ne sont pas spécifiquement géopolitiques. Cependant, leurs analyses montrent que, d’une part, ces mouvements peuvent avoir des répercussions géopolitiques compte tenu des tensions internes qu’ils ont provoquées et que, d’autre part, le rôle des images et représentations a été prépondérant dans leur soutien à l’étranger, en particulier la représentation du combat d’étudiants démocrates ouverts aux valeurs del’Occident contre des élus corrompus issus de la nomenklatura soviétique. De plus, ces révolutions de couleur, même si elles ont conduit pour le moment à desimpasses politiques, peuvent néanmoins aussi servir d’exemple dans des États voisins. Ainsi, en mars2008, les manifestations en Biélorussie - il est vrai limi- tées - viennent peut-être de le montrer. 2000 manifestants agitant des drapeaux européens à Minsk, dont on connaît le régime autoritaire et prorusse, n’est pas un événement anodin. Le choix du drapeau de l’Union européenne est à noter car cen’était pas le cas dans les révolutions colorées. Doit-on y voir le souhait de rejoindre cet espace de prospérité économique dont l’accès est devenu beaucoup plus difficile depuis l’intégration de la Pologne dans l’espace Schengen, qui mit un terme aux fructueux échanges individuels transfrontaliers ?

En outre, rien ne dit que ces révolutions de couleur soient définitivement sans lendemain car les nouveaux dirigeants qu’elles ont mis en place peuvent à leur tour être contestés, voire renversés, toujours au nom du respect de la démocratie, d’autant que la plupart, tant en Ukraine qu’en Géorgie, ont avec réalisme quelque peu atténué leurs discours très hostiles à la Russie.

La volonté d’intégrer l’OTAN est l’une des revendications les plus affirmées de ces révolutions de couleur, au moins celles de l’Ukraine et de la Géorgie, qui se sont vu refuser leur intégration dans l’OTAN, au sommet de Bucarest en avril2008, du fait de l’opposition de la France et de l’Allemagne. Ce numéro d’Hérodoteest donc le moyen d’analyser sérieusement l’évolution des positions de la Russie dans le domaine de la Défense, notamment à l’égard des nombreux traités qui ont été conclus avec les États-Unis au temps de la guerre froide. Le durcissement des positions russes contre l’extension de l’OTAN est connu de tous mais, au-delà des discours, qu’en est-il réellement ? Déjà dans le précédent numéro (Vers une nouvelle Europe de l’Est ?)la réaction russe à l’annonce de l’installation d’anti- missiles américains sur le territoire de la Pologne et de la République tchèque a été étudiée (voir les articles de J.-S. Mongrenier et de F. Tétart). Cette fois les articles de J.-S. Mongrenier et M. Guénec aident à faire le point sur le sens et l’évolution des nombreux traités passés entre les États-Unis et la Russie depuis les années 1970, afin de prendre la juste mesure des récentes déclarations russes àpropos des questions de défense. Bibliographie NYE, Joseph S.(1990), « Bound to Lead, The Changing Nature of American Power », Wall Street Journal.


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