L’anglais et les minorités ethniques au Royaume-Uni

par Delphine Papin

Résumé : L’anglais et les minorités ethniques au Royaume-Uni

Tandis que la langue anglaise ne cesse d’étendre sa suprématie à travers le monde, au Royaume-Uni elle ne semble pas s’imposer auprès de toutes les minorités. Dans le cadre du multiculturalisme, l’État a choisi d’institutionnaliser la différence - au nom de la tolérance - et de permettre par exemple la traduction des documents administratifs dans les différentes langues des minorités ethniques. Entre respect des particularismes et dérives communautaires, le gouvernement britannique s’interroge aujourd’hui sur les limites de son modèle multiculturel ébranlé notamment par les émeutes raciales de 2001.

Abstract : The English and Minorities in the United-Kingdom

While the English language continues to extend its supremacy all around the world, it does not seem to impose itself on all the minorities in the United-Kingdom. In the framework of multiculturalism, the state has chosen to institutionalise difference - for the sake of « tolerance ». The translation of administrative documents and forms into minority languages for example is not only permitted but also promoted in Great Britain. Between respect for particularism and the problem of communitarianism, the British government is questioning to what extent the multicultural model is still valid, especially after the race riots of 2001.

Article complet

Langue du commerce et des échanges, langue de la diplomatie et des grandes institutions internationales, langue d’Hollywood et d’Internet, l’anglais ne cesse d’étendre sa suprématie à travers le monde. À travers le monde certes mais, paradoxe au pays de Shakespeare, l’anglais ne semble pas s’imposer auprès de tous les sujets de Sa Majesté. Les minorités ethniques bénéficient par exemple d’un large dispositif de traduction dans leurs langues d’origine (hindi, ourdou, cantonais et autres...) des textes et documents officiels. Un minimum d’anglais n’est donc pas même nécessaire pour effectuer la plupart des démarches administratives. Situation inimaginable en France où, selon la Constitution française, « la langue de la République est le français ». Par conséquent les documents de la République n’ont pas lieu d’être traduits. Ainsi, si la langue, en France, doit être la même pour tous les citoyens, au nom du principe d’« égalité », c’est au nom de ce même principe que le Royaume-Uni préconise que soient traduits les documents administratifs dans la plupart des langues parlées sur le territoire, et ce aux fins de rendre la loi accessible au plus grand nombre.

Seulement voilà, aujourd’hui la « tolérance » britannique semble connaître ses limites, et c’est David Blunkett lui-même, Home Secretary of Great Britain (l’équivalent de notre ministre de l’Intérieur) qui, publiquement, a relancé le débat en faisant paraître en septembre 2002 un article sur la question de l’anglais et de l’intégration des minorités. Dans cet article publié dans l’ouvrage collectif Reclaiming Britishness, le ministre prie les minorités ethniques en général et les Asiatiques (indo-pakistanais et bangladeshi) en particulier de bien vouloir parler anglais à la maison afin de faciliter les échanges intergénérationnels et de favoriser leur intégration dans la société. Dans un pays qui, depuis plus de trente ans, prône les bienfaits du multiculturalisme et du respect de la différence - à l’inverse du modèle français monoculturel et universaliste - prétendre imposer à la « sphère privée » la pratique de la langue nationale paraît aberrant ; le plus universaliste de nos jacobins ne l’aurait jamais osé ! Ce qui est sûr c’est que de telles velléités sous la plume du ministre de l’Intérieur en exercice, en charge plus qu’aucun autre de défendre la ligne nationale et par conséquent les valeurs du multiculturalisme, montrent bien que le Royaume-Uni est aujourd’hui à un tournant de son histoire. En s’interrogeant, même de cette façon paradoxale, sur la place de la langue anglaise dans la société britannique, le ministre pose plus largement la question de la nation. Une question qui a fait l’objet de nombreux rapports récents, qui chacun ont mis l’accent sur les faiblesses et les failles du multiculturalisme britannique.

Du multinatinal au multiculturel

Le Royaume-Uni est un État multinational où les particularismes nationaux sont puissants. Le pays de Galles et l’Écosse - sans parler de l’Irlande du Nord - possèdent des identités fortes. Le seul fait que pour la coupe du monde de football ou pour le tournoi des six nations, ce ne soit pas le Royaume-Uni qui concoure mais bien l’Écosse, le Pays de Galles et l’Angleterre, témoigne de la persistance des identités nationales. Cette gestion de la diversité des nations pour conforter l’unité de l’État a ouvert la voix du multiculturalisme au moment du démantèlement de l’Empire et de l’arrivée massive de migrants en provenance du nouveau Commonwealth (pays d’Afrique anglophone, du Sous-Continent indien, d’Asie du Sud-Est ou encore des Antilles...). Les différentes politiques d’intégration, Race relation (les premières sont mises en place dès le milieu des années 1960), s’efforceront de lutter contre les discriminations et auront comme mots d’ordre l’« ordre public », l’« égalité » et la « tolérance ». Cette valeur de « tolérance » ou « respect de la différence » est aujourd’hui la valeur qui organise les rapports entre citoyens britanniques. Les multitudes études portant sur les questions d’intégration des minorités ont mis en lumière la nécessité de valoriser les cultures de ces minorités pour éviter les situations de rejet d’un côté comme de l’autre des populations en présence, souvent par méconnaissance respective. Les écoles jouent un rôle central dans l’apprentissage du respect de la différence. L’Assembly qui chaque matin regroupe ensemble tous les élèves d’un même établissement scolaire pour évoquer des sujets de société, profite de chaque fête religieuse (juive, musulmane, sick...) ou culturelle (nouvel an chinois, fête nationale au Bangladesh...) pour exalter les valeurs des différentes communautés. Ainsi on passe du respect de la différence à une certaine forme de célébration. Le maire actuel de la commune de Camden (quartier de Londres) - Bangladeshi d’origine - envoie par exemple au moment de l’Aïd El Kebir des cartes de vœux à ses concitoyens.

Parallèlement à la célébration de la différence dans les écoles, les autorités sont également passées de la tolérance à une certaine forme d’institutionalisation de la différence.

Du multiculturalisme à la différence institutionnalisée

Le recensement de la population de 1991 a introduit une nouvelle question portant sur l’identité ethnique, l’état partant du principe que, pour résoudre les discriminations et corriger les inégalités, il est d’abord nécessaire de correctement les appréhender. Au recensement de 2001, la question sur l’appartenance religieuse a suivi. Chiffres à l’appui, il a été possible de mesurer l’étendue d’une partie des discriminations ainsi que la densité de ségrégation ethnique. Pour lutter contre celles-ci, le gouvernement a obligé les autorités locales à réserver une partie de leur budget au développement d’actions sociales intégrant des minorités.

C’est ainsi que de nombreux projets économiques et culturels, financés pour partie par les autorités locales ont vu le jour, comme la « Banglatown » dans le quartier de Tower Hamlet (sorte de « China Town » version bangladeshi où l’on trouve une multitude de boutiques et surtout de restaurants bangladeshis). Le financement des associations locales n’est la plupart du temps désormais possible que s’il inclut une partie des minorités ethniques présentes dans la commune ; parallèlement, les grands partenariats public/privé d’aménagement urbain n’obtiennent de financement public que s’ils démontrent qu’une partie de leur projet est dévolue aux minorités.

Ces mesures pour favoriser l’intégration des minorités ne sont pas toujours un succès, car bien souvent les projets pour faire se rencontrer des communautés différentes n’aboutissent pas. Par exemple si l’invitation à se retrouver sur un même lieu a bien été entendue, diverses communautés l’occupent effectivement, mais à des heures différentes ! Ainsi, plusieurs clubs de couture ont été mis en place pour que les femmes de différentes origines puissent se rencontrer, l’activité choisie faisant en l’occurrence d’une pierre deux coups en évitant la mixité. Cependant, très vite, les femmes ont formé deux groupes, celles de la minorité venant à la première heure, celles de la majorité blanche venant à la seconde.

Par ailleurs, d’autres tentatives ont été faites pour encourager l’apprentissage de l’anglais. La commune de Camden a proposé aux femmes de la minorité bangladeshi la mise en place de cours de langue. Les femmes de plus de quarante-cinq ans de cette communauté parlent pour la plupart Syhlety et n’ont pratiquement aucune connaissance de l’anglais. À la grande surprise de la commune, si la proposition a dans l’ensemble été plutôt bien accueillie, la demande a porté sur des cours de bengali (langue officielle du bangladesh que ces femmes ne parlent pas pour la plupart), et non pas sur des cours d’anglais.

À quoi mène le « respect de la différence »

La langue anglaise est évidemment considérée comme un outil d’intégration, mais également comme un obstacle à celle-ci. C’est pourquoi, l’administration a mis en œuvre une série d’actions pour se faire le plus aisément comprendre. C’est donc l’administration britannique qui s’est adaptée à ses minorités. La traduction des documents officiels en est l’exemple le plus frappant.

Ainsi, on peut obtenir sans difficulté en ourdou, gujarat ou bengali un formulaire d’inscription sur les listes électorales, une demande de logement social ou encore un dossier d’inscription dans une école publique d’État. Inscrivez-vous au NHS (sorte de bureau des prestations sociales britannique) et l’on vous proposera immédiatement un traducteur. Il vous est également possible par exemple de vous rendre à l’hôpital ou d’obtenir un rendez-vous avec le proviseur de votre enfant en ayant l’assurance qu’un traducteur sera mis gracieusement à votre disposition par l’établissement. De même, une ligne de téléphone spécialement conçue pour répondre à toute question d’ordre administratif permet aux usagers en difficulté de s’adresser à leurs mairies.

Le choix des langues de traduction ne se fait pas à l’échelon national mais à l’échelon local auprès des régions ou, le plus souvent, auprès des communes, selon la ou les minorités présentes sur un territoire donné. Il y a plus de 200 langues parlées à Londres et, il n’est bien évidemment pas question que les traductions concernent toutes ces langues. Les regroupements communautaires, au Royaume-Uni en général et à Londres en particulier, permettent de ne tenir compte que de la langue majoritaire de l’ethnie considérée. Ainsi le borough (commune) de Camden situé dans l’Inner London concentre une forte population bangladeshie et somalienne. Les documents sont donc proposés en Syhlety (l’un des dialectes du Bangladesh), en somalien et bien évidemment en anglais. Ce souci de bien faire donne parfois lieu à des situations cocasses : ainsi, les premiers textes traduits pour la population du Bangladesh l’avaient d’abord été en Bengali, langue officielle de ce pays ; mais il s’est très vite avéré que 97 % des immigrants parlaient en fait le Syhlety puisqu’ils venaient de la région du même nom située au nord-est de l’État et non le bengali. Il a fallu par conséquent retraduire tous ces documents.

Par ailleurs, la commune de Camden doit ponctuellement faire face à l’arrivée de réfugiés politiques d’autres provenances et qui parlent d’autres langues. En effet cette commune, traditionnellement de gauche, possède encore un grand nombre de logements sociaux qui ont résisté à la politique du « right to buy » de l’époque Thatcher. De plus, la situation géographique du lieu - plus gros nœud de communications de la capitale - a favorisé durant la seconde moitié du xixe siècle et jusqu’au début des années 1980 la concentration d’usines, en lien à l’époque avec l’activité ferroviaire des trois gares Euston, King’s Cross et St Pancras. Ces gares sont, elles, toujours très fréquentées, ce qui explique que la commune regroupe un grand nombre d’hôtels bon marché dont la seule clientèle est désormais constituée par des réfugiés politiques.

L’administration du borough se trouve donc régulièrement tributaire de la situation internationale, dans la mesure où la commune doit à la fois gérer l’arrivée d’une nouvelle population et mettre en place une logistique pour la traduction des documents administratifs dans la langue des arrivants (les Soudanais ont été remplacés par des Kosovars, puis par des Afghans...)

Les autorités locales apprennent donc à s’adapter aux minorités ethniques présentes sur leur territoire, ce qui n’est pas forcément sans conséquences en terme d’intégration et de communication entre les citoyens de différentes origines. Mais peut-être que cela n’a t-il pas vraiment d’importance. Pourquoi faudrait-il que les différentes communautés se croisent, se mélangent ou communiquent ? Sans doute pour éviter les graves incidents de l’été 2001 qui ont enflammé une partie du Royaume-Uni.

Rendre sa place à l’anglais

Le débat sur la langue et les minorités ethniques a récemment refait surface au cours de l’été 2001, à la suite d’émeutes raciales qui ont embrasé plusieurs quartiers aux nord-est de l’Angleterre. Le ministre de l’Intérieur David Blunkett a alors déclaré que « les immigrants devraient essayer de se sentir britanniques » (BBC News, 9 décembre 2001) puis, dans une interview au journal The Independant on Sunday, que les personnes qui font une demande de naturalisation « devraient désormais avoir quelques notions d’anglais », reportant en quelque sorte la responsabilité des rixes sur la minorité pakistanaise. De nombreuses associations ont alors réagi aux propos du ministre en rendant responsable non pas les minorités mais les institutions. Le gouvernement, souhaitant comprendre l’origine de ces émeutes, a mandé la création d’une commission indépendante sous la direction de Ted Cantle particulièrement au fait de ce type de problème.

C’est à Oldham (Yorkshear) que des émeutes raciales avaient violemment opposé, fin mai 2001, des jeunes appartenant à des groupuscules d’extrême droite et des membres de la communauté pakistanaise. En juin, à Burnley et à Leeds, des jeunes originaires du sous-continent indien prenaient le relais en attaquant la police, en pillant des magasins et en brûlant des voitures. Mais c’est à Bradford que le 7 juillet, les violences avaient atteint leur comble avec plus de 280 personnes blessées et des dégâts estimés à quelque 25 millions de livres (Times, 15 juillet 2001). La police avait même dû faire appel à la compétence des forces de l’ordre basées en Irlande du Nord plus habituées à gérer ce genre de crise. Par suite, les différents acteurs sociaux n’avaient eu de cesse de renvoyer la responsabilité tour à tour sur la communauté pakistanaise jugée mal intégrée et sur les groupes d’extrême droite traditionnellement fomenteurs de trouble.

Ce type d’événement n’est pas nouveau au Royaume-Uni. Vingt ans auparavant, durant l’été 1981 des émeutes avaient déjà eu cours. Le taux de chômage alors élevé joint à l’indifférence du gouvernement Thatcher à propos de la question des « Inner Cities » (quartiers sensibles des centres urbains) avait paru constituer l’origine des émeutes. En revanche, pour celles de 2001, l’explication exclusivement économique paraissait insuffisante. le taux de chômage était tombé à 3,4 % et un certain nombre de politique de la ville avait été depuis mis en place.

Le rapport Cantle publié à la fin de l’été 2001 confirme d’ailleurs que les causes de ces émeutes ne sont pas seulement d’ordre économique et qu’elles ne sont pas davantage le fait d’un groupe de population donnée, mais qu’elles résultent d’un processus plus profond qui trouve ses racines dans le multiculturalisme. Le rapport décrit Bradford comme une ville plus que jamais morcelée et dénonce plus particulièrement la « ségrégation physique des logements sociaux », phénomène que l’on retrouve « dans tous les domaines de la vie quotidienne, à l’école, sur le lieu de travail ou de culte, dans le langage et dans les réseaux socioculturels ». Le rapport décrit également les compromis faits par certaines écoles pour ne pas accueillir les enfants des minorités de confession musulmane. Ainsi, certaines écoles chrétiennes situées au cœur d’un quartier dominé par la communauté indo-pakistanaise demandent aux parents d’élèves de fournir une lettre du prêtre ou du pasteur local pour prouver qu’ils se rendent bien régulièrement avec leurs enfants à l’église ou au temple. Les enfants musulmans sont par conséquent exclus de ces écoles et se replient sur les établissements qui ne pratiquent pas ce type de sélection et qui accueillent parfois 100 % d’élèves appartenant à une seule et même minorité. Les membres de la commission ont d’ailleurs tenu à souligner cette « ségrégation physique » en ouvrant leur rapport sur le témoignage saisissant d’un citoyen musulman pakistanais : « Lorsque j’aurai fini de m’entretenir avec vous, je rentrerai à la maison et je ne reverrai pas un autre visage blanc jusqu’à ce que je revienne ici la semaine prochaine ».

Dans de telles conditions, quelles valeurs peut-on proposer aux citoyens dans une société dite « multiraciale » moderne mais où les gens ne se rencontrent pas ? La plupart sont nostalgiques et regrettent que soit révolu le temps d’une société monoculturelle qu’ils jugent idyllique ; d’autres se tournent vers leur pays d’origine pour tâcher d’y trouver des repères identitaires.

La société multiéthnique que le Royaume-Uni appelle de ses vœux est très divisée. Être Pakistanais à Bradford peut signifier vivre dans un quartier entièrement pakistanais, faire ses courses dans des supermarchés de produits pakistanais où l’on ne vend plus que de la viande hallal, choisir une école musulmane pour ses enfants, lire un journal pakistanais et enfin demander un formulaire d’inscription sur les listes électorales en pakistanais, tout cela sans pour autant avoir l’intention de retourner un jour dans son pays d’origine. L’anglais, dans ces conditions, n’apparait pas forcément comme la priorité. On peut d’ailleurs légitimement se demander s’il est vraiment nécessaire d’apprendre une langue lorsque celle-ci est étrangère à la communauté et au territoire sur lequel on vit, même si, paradoxalement, ce territoire appartient de fait aux tenants de cette langue. Le problème de la déségrégation spatiale est sans doute la clé d’une plus grande mixité. Mais, que ce soit de la part des minorités ou de la part de la majorité blanche, on ne semble pas vouloir prendre ce type de décision. Si vous vous rendez dans une agence immobilière à Londres, si vous êtes français et que vos revenus vous le permettent, on ne vous proposera que des logements autour du quartier de South Kensington (le quartier français de Londres où se trouve l’ambassade, l’Institut de France, le lycée Charles-De-Gaulle ainsi que toutes sortes de commerces français, du café à la librairie) ; si vous êtes bangladeshi, vous devrez vous adresser au service du logement de la Commune de Camden et l’on vous placera, sans vous laisser d’autre choix, dans un des logements sociaux réservés aux membres de votre communauté.

Parallèlement à ces pratiques qui ne sont pourtant pas officielles (il n’est écrit nulle part qu’il faille regrouper les communautés entre elles), quelques leaders communautaires ne peuvent que se féliciter de ces initiatives puisque le regroupement par quartiers leur permet d’exercer un certain contrôle social sur leur propre communauté. À cela s’ajoute le fait, non négligeable, que la méconnaissance de la langue anglaise de certains membres les rend encore plus dépendants de leur groupe. Ce contrôle social à usage interne est souvent même encouragé par les autorités locales qui voient dans l’influence qu’exercent certains Imams ou certains leaders charismatiques un moyen d’éviter les débordements. En fait, en offrant à ces représentants - la plupart du temps autoproclamés - une certaine légitimité, on a la garantie d’instaurer une relative tranquillité à l’extérieur de la communauté. La contrepartie inévitable est que les autorités locales - ainsi privées de droit de regard - sont à leur tour coupées de ce qui se passe à l’intérieur des groupes.

L’anglais comme outil de restriction de l’immigration

Parallèlement aux émeutes de l’été 2001, les attentats du 11 septembre qui ont frappé les États-Unis ont eu comme conséquence au Royaume-Uni la prise de décision politique déterminante pour lutter contre certaines dérives extrémistes. Jusqu’alors le Royaume-Uni n’avait pas été le meilleur partenaire dans la lutte contre les terroristes islamistes. Au nom de la liberté individuelle, principe fondamental au Royaume-Uni, les autorités britanniques ont longtemps laissé des Imams radicaux prêcher le djihad, offrant à la capitale l’image parfois inquiétante d’un véritable Londonistan (néologisme désormais adopté, forgé à partir de Londres et d’Afghanistan). Face à la permissivité des autorités, certains quartiers de Londres sont devenus le fief d’islamistes ; c’est le cas de la mosquée de Finsbury Park qui a accueilli jusqu’en 2003 le cheik Abou Amza, célèbre non seulement pour ses invectives contre les Américains, mais aussi et surtout pour son crochet en guise de main droite et son oeil en moins. Ces trublions trouvent dans la capitale britannique l’avantage de jouir à la fois d’une place financière estimable (véritable paradis fiscal difficilement contrôlable pour un certain nombre de fortunes du Golfe), d’un grand nombre de médias arabophones et d’une politique d’accueil longtemps plus souple que dans bon nombre d’autres pays européens. Mais leur engagement aux côtés des Américains a obligé les Britanniques à balayer devant leur porte. Une série d’arrestations dont celle du Cheik Abou Amza a précipité la mise en place d’un certain nombre de mesures, en particulier pour tenter un contrôle des prêches. Situation délicate dans cette démocratie où la liberté d’expression est l’un des principes fondateurs.

Ainsi, le 22 juillet 2004, David Blunkett déclarait que les représentants religieux étrangers qui désirent s’installer et prêcher au Royaume-Uni devront désormais savoir parler l’anglais, mesure qui a pris effet en septembre 2004. « Le niveau demandé est, dans un premier temps une connaissance des bases de la langue, avant d’évoluer d’ici deux ans vers une compétence à l’oral comme à l’écrit. » David Blunkett a également déclaré qu’il pourrait demander aux représentants religieux ayant séjourné un an dans le pays de démontrer leurs connaissances de la société britannique, et notamment des cultes autres que les leurs. Il est intéressant de noter que si cette décision ne peut avoir de grandes conséquences sur le développement des prêches fondamentalistes, elle démontre cependant la volonté de redonner sa place à la langue anglaise comme outil d’intégration et par suite, de contrôle.

La question de la langue au Royaume-Uni reflète bien la problématique actuelle de la nation britannique qui, à l’instar de nombreuses sociétés démocratiques de plus en plus diverses, sont à un tournant de leur histoire. La nation britannique - longtemps simple alliance de couronnes - ne s’est réellement manifestée qu’au moment de l’Empire, où les particularismes étaient gommés. Avec la problématique communautaire, la question de la cohésion nationale est remise à l’ordre du jour. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la BBC, en septembre 2004, consacre un programme quotidien intitulé « Who do we think we are ? » Ce « Qui pensons-nous que nous sommes ? » tente, à travers divers témoignages et sondages, d’offrir une définition à la britannicité. On constate ainsi qu’à la différence des citoyens français, il est possible de se définir comme écossais-britannique, gallois-britannique et par extension comme britannique-pakistanais ou britannique-musulman.

La politique gouvernementale s’est largement orientée, ces dernières années, vers la promotion de la différence y compris régionale pour préserver une certaine unité au sein du Royaume-Uni. Ainsi, la mise en place de la Dévolution, en 1998, a également posé la question de la langue ; au Pays de Galles par exemple, où le gallois avait - comme le français à Jersey - un statut de langue régionale, est désormais, dans les textes officiels sur le même pied d’égalité que l’anglais.

La célébration de la différence ethnique et régionale a également des incidences sur la construction de la « britannicité » ou « britannité ». La nation britannique repose en effet aujourd’hui sur la « tolérance » de l’autre, sorte de valeur en creux où les Britanniques appartenant à la « majorité » ne trouvent pas leurs marques. De plus en plus de minorités se réfèrent à leur identité d’origine, parlent leurs propres langues, célèbrent leurs fêtes nationales et religieuses, tout cela grâce à des financements publics. Une partie de la « majorité » a quant à elle l’impression que la « tolérance » lui est imposée sans la contrepartie d’un sentiment d’appartenance fort que sous-tend habituellement la cohésion d’une Nation. L’institutionnalisation de la différence entraîne aujourd’hui des réactions de repli de la part des Anglais qui, lors de la dernière coupe du monde par exemple, ne brandissaient plus le drapeau britannique mais la croix de Saint George (emblème de l’Angleterre).

Entre les revendications régionalistes des uns et les revendications communautaristes des autres, le Royaume-Uni a choisi au nom de la tolérance d’institutionnaliser la différence en prenant le risque de se laisser déborder par les revendications de chacun. Certes, le Royaume-Uni peut se vanter de ne jamais avoir eu un parti d’extrême droite au second tour des élections - le système de bipartisme laissant peu de place aux petits partis -, mais les émeutes de 2001 et les nombreux rapports officiels publiés ces dernières années ne cessent d’alarmer les autorités sur la présence de véritables ghettos raciaux, sociaux et religieux au cœur même de certains grands centres urbains. L’accent est souvent mis sur les dérives communautaristes, sur le développement d’un certain fondamentalisme religieux qui s’accompagne également d’une forme d’islamophobie.

Comme le fameux ouvrage The Future of Multi-Ethnic Britain également connu sous le nom du rapport Parekh du nom de son auteur souligne dès l’introduction les choix auxquels la nation britannique doit faire face actuellement. Le rapport Parekh imagine une communauté d’individus et une communauté de communautés où la citoyenneté serait à la fois garante des différences de chacun et de l’égalité pour tous : « Le respect pour les identités non-politiques est donc essentiel à l’existence d’un sentiment commun d’appartenance. Cependant, nulle communauté politique ne peut accueillir toutes les formes de diversité ou accepter des exigeances qui seraient déraisonnables. »

Ainsi au moment même où la France réafirme l’une des valeurs fondamentales de la nation française à savoir la laïcité, le Royaume-Uni s’interroge d’une manière presque française sur son devenir.

Références bibliographiques

 Bertossi C., « Le débat britannique, “l’école de la pluralité” », Les Cahiers pédagogiques, n° 419, Paris, décembre 2003.

 Cantle T., Community Cohesion, Home Office, Londres, 2001.

 Chaline C. et Papin D.,, Le Royaume-Uni ou l’exception britannique, Ellipses, Paris, 2004.

 Griffith P et Leonard M., Reclaiming Britishness, The Foreign Policy Center, Londres, 2002.

 Parekh B.,, The Future of Multi-Ethnic Britain, Profile, Londres, 2000.


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