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Malgré le cessez-le-feu signé à Genève le 23 octobre 2020 entre les différents groupes armés libyens, la situation en Libye en ce printemps 2021 reste tellement complexe qu’il faut bien lui consacrée un numéro d’Hérodote pour essayer de la clarifier. Ali Bensaad a eu l’idée de ce numéro, de son titre, Libye, géopolitique d’un chaos, et l’a codirigé. Comme son article le montre, le « chaos libyen » s’inscrit dans ce processus global d’impasse du mouvement contestataire du « printemps arabe » et de ses effets-retours en régressions. Il ne peut être appréhendé que placé dans ce contexte.

Les printemps arabes, mis à part la Tunisie, et encore avec de sérieuses difficultés pour en maintenir les acquis démocratiques (voir le numéro 180), se sont tous conclus au mieux par un retour à la situation qui les a précédés, au pire à des guerres civiles meurtrières avec qui plus est des interventions étrangères comme en Syrie et en Libye. En Syrie, Bachar al-Assad a réussi à se maintenir au pouvoir grâce à l’appui militaire de l’Iran et de la Russie, au prix de millions de déplacés, de millions d’exilés et de centaines de milliers de morts. En Libye, la chute de Kadhafi dès octobre 2011, suite à l’intervention étrangère britannique et française et avec l’appui aérien américain, avait laissé croire à un possible succès des forces démocratiques, c’était bien mal connaître la situation libyenne, car préoccupés avant tout par le terrorisme transnational et les migrations subsahariennes vers l’Europe. En vérité, ni la Grande-Bretagne, ni la France, ni les États-Unis n’étaient prêts s’investir dans la durée pour la reconstruction de l’État libyen, ce qui a laissé place à d’autres interventions étrangères (voir l’article de Droz-Vincent).

Et si le bilan de la guerre civile relancée en 2014 n’y est pas aussi effroyable qu’en Syrie et que fort heureusement les interventions militaires de la Russie et de la Turquie (2019-2020) y ont été moins meurtrières, néanmoins la situation géopolitique y reste des plus fragile et complexe, ce qui n’est pas sans conséquence sur celle des pays voisins sahéliens, Niger, Tchad, Mali, étranger proche sur lequel Kadhafi a longtemps essayé d’exercer son emprise.

La complexité de la situation géopolitique libyenne résulte de la multiplicité des acteurs à la tête de groupes armés, résultat de l’extrême fragmentation de la société. Au gré de l’évolution des rapports de force sur le terrain, les alliances se font et se défont sans stratégie politique clairement définie mais selon les avantages qui en sont attendus ou espérés pour les groupes armés et/ou les groupes locaux concernés (voir l’article de Badi). À cette situation interne confuse et complexe s’ajoutent les nombreux acteurs internationaux (Russie, Turquie, Égypte, Émirats arabes unis, Jordanie, Arabie saoudite), chacun poursuivant ses propres intérêts nationaux. La Libye constitue désormais un terrain d’affrontement et/ou de coopération entre puissances régionales et extrarégionales.

Dans cet embrouillamini géopolitique, le maréchal Khalifa Haftar, commandant général de l’Armée nationale libyenne qu’il a lui-même mise sur pied et qui est formée du regroupement de plusieurs milices, de groupes d’anciens militaires de l’armée libyenne et de combattants salafistes, a été vu par plusieurs États étrangers, dont la France, comme pouvant être la solution même si aux yeux du gouvernement français elle risquait de s’avérer plus autoritaire que démocratique. Mais il s’agissait avant tout de mettre un terme au chaos libyen et à ses répercussions dans les pays voisins du Sahel. Parti de son fief en Cyrénaïque à l’est de la Libye, Haftar s’est lancé à la conquête de l’ensemble du pays et a même réussi à chasser des combattants de l’État islamique qui avaient réussi à conquérir la région de Syrte. Mais avec son armée qui comptait, en 2018, 25 000 hommes selon les experts internationaux (70 000 selon Haftar...), répartis entre 7 000 réguliers et 18 000 miliciens, il n’a pas réussi à conquérir Tripoli, siège du gouvernement national (voir l’article de Lazib). Les forces turques arrivées en soutien au gouvernement légal de Fayez el-Sarraj, reconnu internationalement en 2016, ont en effet mis (définitivement ?) un terme aux ambitions de Haftar qui bénéficiait pourtant du soutien militaire de la Russie. Or, malgré sa coopération avec l’Égypte et les Émirats arabes unis, le soutien russe s’est avéré insuffisant (voir l’article de Haddad). Pour Vladimir Poutine les objectifs suivis étaient d’affirmer une fois encore son statut de grande puissance et de contrôler la situation géopolitique en Méditerranée orientale, ce qui est selon lui indispensable pour assurer la sécurité de la Russie, sans oublier les intérêts économiques (Delanoë et Hedjazi). Pour Recep Tayyip Erdogan, que l’on sait nostalgique de la puissance ottomane, l’intervention turque en Libye illustre sa stratégie de puissance régionale. Cette intervention décisive pour sauver le gouvernement de Sarraj fut négociée à Ankara contre un accès à des eaux territoriales en Méditerranée orientale dont la Turquie est exclue (voir l’article de Seni).

Par ailleurs, on a souvent attribué l’expansion territoriale des combattants djihadistes au Sahel à la déstabilisation de la Libye et au retour avec leurs armes et véhicules de mercenaires recrutés dans les pays du Sahel par Kadhafi et attirés par les salaires élevés pour la région. Ces retours sont incontestables ainsi que l’action de groupes armés au-delà des frontières libyennes, cependant ils sont loin d’expliquer à eux seuls l’aggravation de la situation au Sahel. Les capacités de déstabilisation des États sahéliens par la Libye actuelle n’ont rien à voir avec celle de l’époque de Kadhafi, quand le « Guide de la Révolution » envoyait ses troupes annexer le nord du Tchad et occuper la capitale Ndjamena. Désormais l’influence de la Libye s’exerce surtout par défaut d’État (voir l’article de Pérouse de Montclos).

Enfin, il y eut la stupeur voire l’effroi de la découverte du trafic humain par des passeurs libyens mais pas uniquement libyens. Le chaos géopolitique a ainsi créé l’opportunité pour des passeurs sans scrupule de pratiquer la vente d’hommes et de femmes comme au temps de l’esclavage qui sévit pendant des siècles dans les pays arabes, passant ainsi du trafic de migrants à la traite des personnes (voir l’article de Perrin).


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